Parole de Pierre Rabhi
Extrait de Kaizen Magazine
Léon Bloy disait : « Les animaux sont entre nos mains le gage du paradis perdu » et je
partage ce point de vue. Dans la genèse de l’humanité, l’homme vivait en symbiose avec
l’animal. Puis, pendant des millénaires, notre rapport aux bêtes s’est inscrit dans une
logique de survie. Les peuples traditionnels chassaient pour se nourrir, toujours avec
beaucoup de gratitude, remerciant l’animal de donner sa vie pour que d’autres puissent
vivre.
Mais encore une fois, la modernité a marqué un tournant dans l’histoire. L’Homme
démiurge s’est érigé prince de la création et a subordonné l’animal à son avidité et à sa
cruauté. Les Peaux Rouges ne purent que regarder avec sidération leurs petits frères
blancs tirer sur les bisons par la fenêtre des trains, laissant les bêtes agoniser au sol sans
aucune considération…
Il semble que le monde animal soit l’objet de bien des malentendus. Nous justifions les
mauvais comportements de l’homme en disant : « c’est la loi de la jungle ! », mais nous
oublions que quand un lion mange une antilope, il répond à son besoin vital et n’amasse
pas outre-mesure. Et s’il y a, dans le monde animal, des concurrences et des
antagonismes entre les espèces, il n’y a pas, à ma connaissance, d’espèce capable de
s’auto-détruire comme l’humanité sait si bien le faire. Nous avons placé sur le dos de
l’animal la charge de la prédation, de la férocité et de la barbarie, mais nous nous
sommes bien trompés. Les centaines d’exemples d’entraide, d’empathie, de sensibilité,
d’intuition et d’intelligence que nous découvrons toujours plus chez la gente animale
viennent nous faire tomber de notre piédestal et modérer notre faconde.
Faut-il le rappeler ? Nous sommes nous-mêmes des mammifères avec un cerveau très
performant qui est aussi la source de tous nos tourments. Nous en arrivons à une
férocité liée aux idées et à des antagonismes religieux, politiques ou philosophiques. Et
d’où nous vient cette imagination qui nous amène à créer des usines à protéines
animales, véritables camps de concentration produisant une viande pétrie de
souffrance ? Et quid de nos lugubres expériences en laboratoire ôtant chaque année la
vie à plus de 2,5 millions d’animaux, rien que dans notre pays ? Ces faits, auxquels
s’ajoutent le massacre, déguisé en courage, des taureaux lors des corridas ou encore
celui des merveilleuses baleines pour l’industrie cosmétique me dégoûtent
profondément. La condition infligée aux animaux pour le simple plaisir, le luxe ou la
cupidité devrait être interdite et sévèrement sanctionnée.
Avec ma femme Michèle, nous avons eu pendant des années un troupeau de chèvres
dont chacune avait un prénom et une histoire. Nous avions une relation très sensible
avec elles et sentions immédiatement quand l’une d’elles n’allait pas bien. De même,
quand notre vache « Mama » est arrivée à la ferme, j’ai compris pourquoi cet animal
était vénéré dans un nombre important de traditions. De sa masse, de sa présence, de
son regard, de sa rumination transparaissait presque une dimension spirituelle. Elle
donnait au temps une saveur d’éternité…
C’est évident : nous devons repenser notre rapport à l’animal pour qu’il ne s’inscrive
plus ni dans la violence ni dans cette adulation excessive souvent portée à nos animaux
de compagnie. Prendre en compte ces compagnons de notre destin, en conciliant nos
besoins vitaux avec le respect et la gratitude que nous leur devons, serait révélateur d’un
grand sursaut de conscience pour notre humanité, appelée sans attendre à placer ses
aptitudes au service de la Vie, dans le respect de tout ce qui vit.
Source: KAIZEN
https://kaizen-magazine.com/article/de-notre-rapport-aux-animaux
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